Centre de création, formation et développement pour les arts de la marionnette
En écho au colloque « Mais où vont les spectateurs ? », organisé par l’atelier de scénographie de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, les 17 et 18 novembre 2004, et présenté dans le n°32 de la revue Mouvement)
A qui s’adresse t-on quand on présente un spectacle ? Comment empêcher le spectateur d’avoir une attitude passive ? La création aujourd’hui s’intéresse de près à la place du spectateur. On cherche de plus en plus à le confronter à de nouvelles expériences, dans de nouveaux contextes, en remettant en cause la forme de la représentation. (A tel point qu’on est en droit de s’interroger sur la pertinence du terme même de spectateur...) Les règles du jeu et les stratégies de mise en place des spectateurs dans l’espace-temps de la représentation sont questionnées, leur place physique n’est plus toujours assignée, ils peuvent désormais se déplacer en écoutant un texte. Leur liberté n’est plus forcément cantonnée à celle du numéro d’une place réservée. Cela s’appuie sur une recherche sur la distance physique entre les corps, leur position, la lumière, le son, la matière au sol, le temps.
Nous y attachons une très grande importance. Si nos dernières créations se déroulent dans des espaces non conventionnels, où l’espace scénique englobe l’espace du spectateur, c’est pour que ce dernier ait une place particulière, active. Porter une attention toute particulière à son accueil, à l’intimité des émotions partagées lors de chaque spectacle. Cette expérience du vécu du spectateur est devenue une des bases de notre travail dramaturgique, l’idée étant de toucher chacun dans son individualité, et d’introduire une autre dimension entre l’acteur et le spectateur.
C’est de là que vient notre recherche de la proximité : l’expérience avec la matière a beaucoup d’importance pour nous, nous avons envie de la partager en plaçant les spectateurs au centre du dispositif, en leur permettant de côtoyer les objets, de sentir les odeurs, de s’attacher à tel ou tel élément.
De même, les interfaces numériques participent à cette remise en cause de la place du spectateur, qui n’est ni devant le spectacle ni sur la scène, mais les deux à la fois. Les technologies numériques donnent à la scène une autre présence, qui déroute le spectateur, l’amenant parfois à devenir acteur (ou « spectacteur ») quand il agit sur le dispositif. L’implication du spectateur passe de l’interactivité à la prise en compte de sa présence.
La dimension déambulatoire, qui bouscule la forme traditionnelle figée du spectacle de marionnette, nous permet d’introduire ces données. Nous nous appuyons sur cette conviction que la représentation a à voir avec l’intimité, qu’elle s’adresse non pas au public mais à chaque spectateur. Nous tentons de provoquer des rencontres, hors de toute théâtralité scénique.
Dés(équilibres est un bon exemple : on ne peut pas dire que c’est un spectacle, pourtant il y a un comédien. Ce n’est pas non plus une installation, puisque que ce n’est pas uniquement un objet à contempler. C’est à la fois une rencontre et une confrontation : chaque personne qui entre dans l’espace est sollicitée de façon individuelle, appelée à suivre un parcours physique et dramaturgique.
C’est l’action d’un spectateur qui libère une boule, déclenche le spectacle et tous ses enchaînements de cause à effet. On ne pose pas la question « qu’est-ce qu’être spectateur ? » de l’extérieur, mais en engageant le spectateur lui-même dans le déroulement du spectacle. De là des thèmes plus larges sur la responsabilité, le parti pris, la prise qu’on peut avoir sur les événements. Dans son parcours, le spectateur est libre, donc responsable. Et c’est finalement la forme déambulatoire elle-même qui structure le sens du spectacle.
Il ne s’agit donc pas de manipuler le spectateur, à la façon d’une marionnette. Au contraire, nous considérons que c’est une démarche moins manipulatoire que d’asseoir quelqu’un dans un fauteuil et de lui lancer le texte à la figure. Nous préférons dire aux gens « baladez-vous », c’est plutôt un gage de liberté. Nous sommes conscient du risque du pouvoir du scénographe, et nous préférons l’échange.
Le spectacle Cependant jouera aussi sur toutes ces questions. Il est basé sur l’illusion d’être spectateur en tant qu’individu isolé, pour une mise en abîme de ses propres sensations, une interrogation sur sa présence et sa perception des choses. Le spectateur est en situation de décalage avec la réalité. Il se voit en tant que spectateur, en train de regarder. Est-il un simple témoin, un observateur ? Sa position dans l’espace l’incite à s’interroger sur son propre comportement…
Reste ensuite à trouver le lieu qui peut accueillir cette nouvelle scénographie… les lieux actuels ne permettant pas toujours de penser librement un « autrement » des conventions de perception sur une scène.
Sortir du territoire et de la problématique de la scène pour réinventer la représentation… à condition peut-être qu’il existe un vrai dialogue entre les scénographes de lieux, les artistes, et les scénographes de spectacle, et une reconnaissance de l’imbrication des disciplines et du déplacement de la nature du spectateur.
« L’offre d’une place juste pour chacun de nous doit être non point l’offre d’un siège, encore moins d’un abri, mais celle d’un déplacement »
Marie-José Mondzain, Le Commerce des regards